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Chroniques d'un catho ordinaire

Reflexions et partages d'articles sur la sphère catholique

Géopolitique des islamismes

Publié le 5 Avril 2016 par Yo

Géopolitique des islamismes

Front et formes de l’islamisme contemporain

« Des salafistes piétistes aux Frères musulmans, des Ouïghours indépendantistes de Chine à l’État Islamique en Irak et au Levant (EEIL), en passant par les islamistes indonésiens ou encore des Philippines et jusqu’aux islamistes de France, d’Angleterre et des États-Unis, ce que recouvre aujourd’hui le mot ‘islamisme’ est aussi complexe qu’essentiel à appréhender. »

Ainsi s’ouvre le livre d’Anne-Clémentine Larroque, Géopolitique des islamismes. Le mot « islamisme » est en effet souvent galvaudé par un amalgame entre notions ou attitudes distinctes, mais aussi parfois par un refus d’aborder la réalité dans sa totalité, de reconnaître l’intrication des phénomènes.

Ainsi, l’islamisme n’est pas le seul fait des mouvements djihadistes armés: « Le mot ‘islamisme’ désigne plusieurs réalités : des mouvements idéologiques, des associations de prédication, des ensembles politiques, des mouvances terroristes et enfin des groupes ou individus isolés qui se rattachent aux doctrines wahhabites ou salafistes et qui peuvent se trouver en pays musulman comme en terre ‘mécréante’. »

Avec quelles conséquences pour les équilibres du monde actuel ?

Pour comprendre la géopolitique des islamismes, il vaut mieux savoir de prime abord de quoi l’on parle, c’est-à-dire de quels lieux et de quelles échelles, avec quels centres et quelles périphéries.

Ensuite, il faut comprendre comment l’islamisme s’inscrit dans un nouvel ordre – ou désordre – mondial, et comment il révèle à la fois le réveil du monde musulman et la persistance de ses divisions.

L’islamisme entre enracinement et mondialisation

L’islamisme désigne plusieurs réalités distinctes qui agissent conjointement. Dans l’ensemble du monde musulman, on assiste à un renforcement de la place de la religion au sein des sociétés et des législations.

Ce qui passe par plusieurs voies et tendances. La société des Frères musulmans, fondée en Égypte en 1928 par l’instituteur Hasan al-Banna, prône une renaissance islamique fondée sur la morale musulmane, par l’application de la charia.

Affirmant la « salafiyya », l’application littérale des textes coraniques et des prescriptions des premiers temps de l’islam, le salafisme se structure comme doctrine, également en Egypte, dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Tout aussi fondamentaliste mais concurrent, car dévoué au leadership de la famille al-Saoud, le wahhabisme apparaît pour sa part à la fin du XVIIIe et s’affirme grâce au contrôle de La Mecque, puis de l’Etat théocratique saoudien dès sa création.

Le soutien apporté par les États-Unis et les financements assurés par la rente pétrolière ont conduit à une diffusion rapide du wahhabisme dans le monde musulman, au détriment des islams traditionnels.

Et au sein du chiisme, la Révolution islamique iranienne de 1979 a également porté au pouvoir les tenants d’une lecture fondamentaliste des règles islamiques.

Selon Anne-Clémentine Larroque, l’islamisme se diffuse selon trois voies. Tout d’abord, l’« activisme missionnaire » fondé sur la prédication et appuyé par les réseaux de charité et d’enseignement construits grâce à la rente pétrolière des pétromonarchies.

Cet activisme, constitutif notamment du mouvement Tabligh, prépare les sociétés au message islamiste en se substituant à des États souvent défaillants, ou simplement « mécréants ».

Et ce, dans toutes les périphéries de l’espace mondial, depuis l’Afrique de l’Ouest jusqu’aux banlieues des grandes métropoles occidentales. Ensuite, on trouve l’activisme politique, avec la constitution de partis relevant de l’islam politique, comme l’AKP en Turquie ou Ennahdha en Tunisie.

Vient enfin l’islamisme armé, formé d’un ensemble de mouvements djihadistes, qui occupent souvent le devant de la scène compte tenu de la résonance médiatique de leurs actions.

Comment comprendre l’articulation entre ces différents types de « prédication » ?

Les différents fronts de l’islamisme

Aborder géopolitiquement les différentes composantes de l’islamisme suppose de déceler des centres, c’est-à-dire des foyers territorialement ancré.

On l’a vu, l’Iran et l’Arabie Saoudite constituent deux États de nature théocratiques qui ambitionnent de servir de modèles.

L’Iran s’impose depuis 1979 comme le centre du chiisme et s’est longtemps voulu le fer de lance de la lutte des musulmans contre les Occidentaux et Israël, présentés comme ennemis des « vrais croyants ».

L’Arabie Saoudite, alliée des États-Unis, ne peut développer ouvertement un tel discours, mais elle s’impose par la présence des lieux saints de l’Islam et par son poids économique au sein du monde sunnite.

Au sein des pays à majorité musulmane, les islamistes visent également à accéder au pouvoir. Les printemps arabes de 2011 l’ont prouvé.

L’expérience a tourné court en Égypte et en Tunisie : les Frères musulmans ont été renversés par l’armée égyptienne en 2013, tandis que le parti tunisien Ennahdha a été contraint de partager le pouvoir dans le cadre d’une coalition en 2014.

En Syrie, la dégradation de la situation a facilité l’affirmation d’un État théocratique autoproclamé débordant sur l’Irak (cf. note CLES n°163, L’Etat islamique, laboratoire du siècle ?, 11/06/2015) – sachant que Daesh métastase désormais également en Libye, un autre pays déstabilisé en 2011.

Ailleurs dans le monde musulman, l’islam politique peut arriver au pouvoir sans révolution, comme en Turquie avec l’AKP depuis 2002, ou au Maroc avec le PJD en 2011.

Au-delà de ce centre géographique et culturel, l’islamisme armé constitue l’une des principales causes de déstabilisation de l’« Arc des crises » qui traverse le monde, de l’Afrique de l’Ouest à l’Asie centrale, et jusqu’en Asie du Sud-Est.

Cette forme d’islamisme marque les périphéries du monde musulman, formant l’« archipel djihadiste » dont parle Didier Giorgini dans sa récente Géopolitique des religions.

En Afghanistan, au Mali, au Nigeria et en Centrafrique, mais aussi en Thaïlande, à Singapour, en Malaisie ou encore aux Philippines, cet islamisme légitime la violence pour prendre le contrôle des territoires – même s’il prolonge ou réactive parfois des conflits antérieurs.

Là où les musulmans ne sont pas majoritaires, l’islamisme tend avant tout à s’imposer au sein des communautés musulmanes par un strict encadrement des pratiques religieuses, pour éviter leur dilution dans un contexte culturel différent, jugé hostile.

Dans ce contexte s’appuyant sur la constitution d’enclaves territoriales échappant de facto aux lois communes, la « prédication » prend progressivement la forme d’une véritable pression sociale, voire sur toutes les formes possibles d’intimidation.

La lutte armée y existe également, ciblant les États engagés contre les groupes djihadistes au Proche-Orient ou en Afrique.

C’est ce que démontrent les attentats perpétrés en Europe, à Madrid et Londres en 2004 et 2005, à Paris et Bruxelles en 2015 et 2016.

Quelles perspectives ?

Comment les islamistes voient le monde ? Didier Giorgini rappelle que la tradition musulmane distingue la « maison de l’Islam » (Dar al-Islam), où s’applique la loi islamique, la « maison de la guerre » (Dar al-Harb), où l’islam doit être propagé par le combat et, selon les sources, la « maison de la trêve » (Dar al-Amn), où l’islam ne peut encore, conjoncturellement, être affirmé, et où il convient de procéder avec prudence, voire ruse (taqiyya), en attendant un rapport de force favorable.

C’est donc une vision du monde très structurée. Même si de nombreuses nuances existent, elle est dominée par la certitude de la propagation d’un modèle universel : l’islam.

La géopolitique qui en découle repose sur un équilibre subtil entre ordre et déstabilisation. Pour preuve, la communication mise en oeuvre par Daesh.

D’un côté, les vidéos vantent l’ordre restauré, le retour à la paix et la fin de la corruption dans les zones contrôlées. D’un autre, elles menacent ceux qui s’opposent au califat en multipliant les scènes de châtiments barbares.

Plus généralement, on peut observer que les islamistes attaquent le modèle de la mondialisation libérale, occidentale, tout en sachant en profiter.

Ils retournent contre elle ses propres armes : la circulation des hommes et des idées.

Ce qui se traduit par l’organisation en réseaux de combattants établis entre l’Afghanistan, puis la Syrie, et l’Europe, ou encore par la prédication par internet, voire le « djihad en ligne ».

L’islamisme présente le monde comme un choc permanent entre civilisations et diffuse un message binaire : comme le dit Olivier Roy, « Ben Laden est huntingtonien ».

Et Didier Giorgini rappelle que, « pour les mouvements musulmans fondamentalistes, toute intervention occidentale dans un pays musulman ou destinée à endiguer un mouvement islamiste armé est interprétée comme une réactivation de la croisade, même si cette intervention est faite au nom de valeurs universelles et non religieuses ».

De même, les partisans de l’État de droit sont dénoncés comme étant de mauvais musulmans, tandis que les croyants des autres religions sont discriminés ou persécutés.

Enfin, cette logique binaire joue aussi en interne. Entre islamistes chiites et sunnites bien sûr, mais également au sein du sunnisme, l’opposition entre les groupes proches d’al-Qaida et Daesh étant par exemple patente en Syrie.

Il convient donc d’éviter tout simplisme. De même que l’islam et l’islamisme ne constituent pas des mondes strictement étanches, l’islamisme ne saurait se réduire à ses aspects conflictuels.

D’ailleurs, A.-C. Larroque rappelle que « pour la communauté internationale, l’islamisme n’est pas toujours porteur de craintes ; en 2011, le Nobel de la Paix est concédé à une militante yéménite issue du mouvement islamiste Al-Ishlah ».

Pour ses adeptes, l’islamisme est aussi un facteur de moralisation du monde et un acteur du développement économique et social.

Les pays développés ont déjà connu une contestation de leur modèle par l’extrême gauche, avec les mêmes divisions, les mêmes dérives violentes, la même volonté de remettre en cause l’ordre mondial dominant pour établir un monde plus « juste ».

La différence est que la critique vient cette fois-ci de l’en-dehors du monde occidental. Et qu’elle dispose indubitablement d’une « armée de réserve ».

Pour aller plus loin :

  • Géopolitique des islamismes, par Anne-Clémentine Larroque, Puf, 2014, 128 p., 9 € ;
  • Géopolitique des religions, par Didier Giorgini, Puf, 2016, 249 p., 22 € ;
  • L’Islam, l’islamisme et l’Occident : genèse d’un affrontement, par Gabriel Martinez-Groz et Lucette Valensi, Points histoire, 2013, 339 p., 9,50 € ;
  • L’État islamique, anatomie du nouveau califat, par Olivier Hanne et Thomas Flichy de la Neuville, Bernard Giovanangeli éditeur, 2014, 178 p., 15 €.

Source de l'article :

http://notes-geopolitiques.com/geopolitique-des-islamismes/

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